Pisé Porteur

Le pisé non porteur : une aberration technique, économique et écologique.

Depuis l’Antiquité, les planchers et toitures des bâtiments traditionnels ont été en appui sur les murs de pierre ou de pisé, formant ainsi des diaphragmes dans, et sur la structure.
Voilà 32 ans que notre entreprise construit des structures en pisé porteur des planchers et des murs dont un immeuble d’habitation R+2, d’une hauteur de 9m40, construit en 1995, qui ne présente pas la moindre pathologie à ce jour (soit 25 ans plus tard).

Montbrison (Loire) Pisé porteur

Pourtant, depuis 2 ou 3 ans, on observe une recrudescence de projets où le pisé est utilisé en remplissage ou en habillage d’une structure poteaux-poutres en bois ou en béton, donc où le pisé est non porteur . (Et même certains projets où l’enveloppe de murs en béton est doublée par des murs en pisé...)

Quelles peuvent être les conséquences techniques, économiques et écologiques de tels choix, non traditionnels ?

En préalable, rappelons quelques points techniques :

1 ) Au moment de sa prise, le béton subit du retrait sur lui-même. C’est la présence d’aciers qui permet une bonne liaison à la reprise de coulage entre les différents éléments de la structure.
2 ) Le béton armé se dilate à la chaleur et se contracte au froid, comme l’acier qu’il contient. Le pisé, de part la présence d’argile, se dilate en saison humide et se contracte en saison sèche. Ces deux matériaux ont donc des variations dimensionnelles inverses au fil des saisons.
3 ) En conséquence du séchage de l’humidité contenue au moment de la mise en œuvre, nous devons considérer un tassement minimal du pisé de l’ordre d’un millimètre par mètre.
4 ) Il n’y a aucune liaison viable entre la terre du pisé et le béton.
5 ) L’eau contenue dans le béton détrempe les argiles du pisé au moment du coulage ; ceci faisant perdre la cohésion du matériau sur une épaisseur variable suivant la nature des argiles.

Dès lors, comment serait-il possible de faire sereinement du pisé en remplissage ou en habillage ?

En remplissage ?

Au moment de la conception, plusieurs chronologies d’intervention seraient envisageables :

1) Faire les trumeaux en pisé puis couler les poteaux et les poutres en béton après le retrait de séchage du pisé (soit un délai d’environ 3 mois plus tard, ce qui convient rarement pour les chantiers contemporains). Mais aussi, comment protéger le pisé de l’eau au moment du coulage du béton ?

2) A l’inverse, on pourrait commencer par faire les poteaux BA, puis damer le pisé entre poteaux. Cela impliquerait que le pisé fasse son retrait entre les poteaux et qu’on traite ensuite l’interface pour une bonne étanchéité à l’air. Aussi, ce principe ne supprime pas le souci de l’eau libérée au moment du coulage de la poutre au-dessus.

Pour bâtir un mur en pisé de 50 cm d’épaisseur, on mobiliserait 2,5 fois plus de béton armé pour les chaînages horizontaux et verticaux que pour bâtir des murs en agglos de 20cm. Le bilan carbone et le coût se retrouveraient donc également multipliés par 2,5…

Et en habillage ?

(Une sorte de peau/bardage et terre compactée pesant 1 tonne au m2 !)

Pour cette « solution » d’habillage, sur ossature béton ou bois, deux conceptions seraient envisageables :

1) Des murs auto-stables, selon les critères définis dans le guide des bonnes pratiques.

Dans ce cas, il n’y aurait pas besoin a priori de joindre solidement l’ossature et les murs en pisé . En revanche, au niveau des interfaces, il ne faudrait pas oublier le tassement du pisé au moment de son séchage, et concevoir le système d’étanchéité à l’eau et à l’air. Aussi, il y aurait nécessité d’avoir un double système de fondation : pour les poteaux en bois ou béton et pour les murs en pisé.

2) Des murs dont la stabilité serait assurée (en théorie) par l’ossature bois ou béton.

Nous avons répondu à deux appels d’offre qui étaient selon ce principe : l’école des Roches de Condrieu sur ossature béton (2017) et l’école de Brangues, sur ossature bois (2018).
Une fois résolue la question de la stabilité lors de la mise en œuvre de ces murs, chose importante, la préoccupation essentielle est de les rendre capables de résister aux efforts latéraux (vent notamment). Pour cela, nous avons intégré des platines profondes lors de la mise en œuvre du pisé. Mais ces platines doivent être conçues pour permettre le tassement de séchage et les variations dimensionnelles saisonnières.
Dans le maintien de 5 trumeaux pour l’école de Brangues, la seule fourniture (non compris les temps de mise en place…) des ferrures a représenté un coût équivalent à 21% du prix du pisé mis en œuvre !

En première conclusion : on se demande déjà à quoi bon passer du temps à se torturer les méninges pour chercher comment faire du pisé non porteur avec des accessoires sophistiqués et coûteux alors qu’il est si aisé de s’inspirer des constructions en pisé porteur bâties par les générations précédentes ? Bluff technologique pour tentative de modernité ou technocratie insidieuse ?

D’un point de vue écologique, on constate que faire une ossature béton implique une extraction de ressources (granulats, acier) et un gaspillage d’énergie, sans aucune utilité pour le bâtiment en pisé. Dans de telles conditions, arrêtons tout de suite de parler de transition écologique.

Et d’un point de vue économique, cette double ossature entraine d’importants surcoûts quelle que soit l’option choisie (de telles pratiques feront ensuite dire par les coquins que construire un bâtiment en pisé est financièrement inabordable…).

Face à ces constats, après 32 années de réelles constructions en pisé porteur, avec assurance décennale, nous refusons de participer à tout projet de remplissage ou habillage quel que soit la beauté ou l’importance du projet.

Périgneux (Loire) Pisé porteur

Notre équipe s’investit physiquement (car effectivement, c’est un métier très physique !) pour une reconnaissance des capacités de ce matériau, mais en aucun cas pour participer à des projets de greenwashing sous forme de papier peint couleur terre…

Mais alors, pour aller un peu plus loin, on peut se demander pourquoi certaines équipes de Maîtrise d’œuvre persistent aujourd’hui à adjoindre une structure béton ou autre, à une enveloppe en pisé ?

Nous dirions par ignorance et/ou paresse.

Ignorance, car les structures vernaculaires qui travaillent à la compression (terre ou pierre) n’ont que très rarement fait partie des enseignements dans les écoles d’architecture et d’ingénieurs françaises. Et comme tout professionnel, ceux-ci interviennent avec les techniques qu’ils ont apprises et qu’ils maîtrisent.

Paresse, car pour prouver que le bâtiment tient, il est plus facile de se tourner vers les logiciels habituellement utilisés depuis la sortie de l’école plutôt que de prendre du temps pour comprendre la résistance des patrimoines existants et d’appliquer au projet les principes ainsi appris.

A ces deux hypothèses vient se greffer un facteur psychologique. A ce sujet, je vous raconterai juste une anecdote de l’hiver 2000 qui pour moi fut une douche froide. A l’époque, je suis intervenu plusieurs fois lors de formations de Chefs de chantier et de Conducteurs de travaux à l’IFBTP. Chaque fois, c’était 4 heures de présentation du pisé : ses caractéristiques, ses capacités, comment intervenir sur le bâti existant, avec diapos et croquis au tableau. Je me rappellerai toujours de ce jour où un jeune est venu me voir à la fin de la séance et m’a dit texto :

« Monsieur, merci, votre intervention m’a énormément intéressé, mais je voulais vous dire… Voilà... le technicien que je suis a bien compris l’incohérence et les risques potentiels d’un chaînage béton au sommet des murs en pisé, ce chaînage ne sert à rien. Mais vous savez, depuis tout jeune, pendant les vacances je vais sur les chantiers de mon père, et lui il a toujours fait des chaînages béton sur le pisé alors moi, je continuerai comme lui ».

Nous pouvons comprendre qu’il soit encore difficile pour un maçon de changer ses habitudes comme pour un bureau d’étude ou pour un bureau de contrôle de prendre le temps d’essayer de comprendre les caractéristiques des constructions ancestrales, ou même pour les maîtres d’œuvre. Mais va-t-il nous falloir encore quarante ans pour admettre qu’il n’y a pas besoin de mettre des ossatures complémentaires pour qu’un mur en pisé soit porteur sur au moins trois niveaux ?

Et l’argument du parasismique en France, parfois entendu, doit-être clairement étayé et réfléchi à chaque projet : de nombreux bâtiments en terre, en zone de très forte sismicité sont de par le monde en très bon état depuis plusieurs siècles sans aucune ossature annexe ! Par exemple, visitez donc Oaxaca après vous être renseigné sur l’activité sismique de la région (l’une des plus forte du Mexique), et partez dans la ville et ses environs à la recherche de pathologies. Que d’enseignements.

Exigez de travailler avec des personnes ayant de véritables expériences de constructions en « pisé porteur ».

Notre entreprise est à votre service pour de plus amples explications dès vos premières esquisses, et si besoin, avec l’appui de son réseau de partenaires.
http://www.construction-pise.fr/Travailler-ensemble